SOUS-ENSEMBLES et CONSTELLATIONS ARITHMETIQUES de NOMBRES PREMIERS
René-Louis Clerc (30 janvier 2022) ((*))

Depuis la conjecture de Polignac [1] énoncée en 1849, de très nombreux travaux sur les nombres premiers, les couples de premiers distants d'un entier pair et les constellations de premiers ont été publiés assez régulièrement au fil des ans ([2], [3], [4], [5], [6], [7], ...).
Pour un quelconque e pair supérieur ou égal à 2, on considère les ensembles Ce de tous les couples de premiers (p, p+e), non nécessairement consécutifs. Dans l'ensemble P des nombres premiers, on considère les sous-ensembles Je constitués de tous les premiers distincts appartenant à Ce.
On définit les ensembles analogues C*e et J*e constitués uniquement à partir de tous les couples de premiers (p, p+e) consécutifs.
Le cas e=2 définit les premiers jumeaux, e=4 les premiers cousins, e=6 les premiers sexy, e=8 les premiers octo, ...
L'arithmétique modulaire dans N/6N nous permettra d'établir deux théorèmes concernant Ce et C*e et exprimant une nouvelle propriété générale de ces couples. Nous donnerons aussi quelques résultats numériques sur les raretés des Je et J*e en utilisant le logiciel de calcul PARI/GP.
Nous établirons enfin un théorème pour les constellations de nombres premiers de type k-uplet, à écart constant où nous mettrons en évidence le rôle essentiel des écarts de type primorielle, e = p# (avec p# = 2*3*5*7*...*p). Ce résultat est l'extension assez naturelle, pour k > 3, des deux premiers théorèmes qui font intervenir la plus petite primorielle supérieure à 2, 3# = 6.
Nous exprimerons ainsi des propriétés constructives simples qui déterminent explicitement les possibles raisons des suites arithmétiques de nombres premiers de longueur k > 2, dont l'existence est assurée par le théorème de Green-Tao ([5]).
Les raisons qui conduisent, pour un k donné, à plusieurs suites sont uniquement des primorielles strictement supérieures ou égales à 3# ou leurs multiples et pour k > 3 toutes les raisons sont exclusivement des multiples de 6.

1-COUPLES DE PREMIERS ET SOUS-ENSEMBLES ASSOCIES

Dans les couples Ce, on prendra donc en compte, tous les couples de deux premiers (distants de e) même ceux non consécutifs. Les couples de jumeaux sont naturellement toujours formés de deux premiers consécutifs; c'est aussi le cas pour les cousins, à l'exception du seul couple non consécutif (3, 7) (au-delà l'impair intermédiaire est un multiple de 3, le plus petit élément de chaque couple étant nécessairement 1(6))(**).
Pour des écarts croissants au-delà de 4, les couples de premiers non consécutifs deviendront de plus en plus nombreux. Par exemple pour e=6, le couple des plus petits consécutifs est (23, 29), alors qu'il y en a 5 plus petits de non consécutifs ((5, 11), (7, 13), ...), pour e=8 le plus petit des consécutifs est (89, 97) qui est précédé de 8 couples de non consécutifs plus petits ((3, 11), (5, 13), ...) et pour e=30, il y a un peu plus de 3 fois plus de couples de premiers non nécessairement consécutifs que de couples de premiers consécutifs dans [3, 1010].
Cette définition des Ce est plus large que celle des C*e naturellement associée à la conjecture de Polignac ([1]), qui affirme que tout nombre pair est égal à la différence de deux nombres premiers CONSECUTIFS et ce d'une infinité de manières.
Notons bien que chaque ensemble Je ou J*e est constitué de premiers tous distincts: par exemple bien que (3, 5) et (5, 7) soient des éléments de C2 (ou C*2), on aura une seule fois 5 dans J2 = {3, 5, 7, ...} (= J*2). A titre de comparaison on peut accessoirement définir par Ke (resp. K*e) les familles de TOUS les premiers appartenant à Ce (resp. C*e); ainsi on aura K2 = {3, 5, 5, 7, ...} (= K*2); nous préférons réserver le nom d'ensemble à des familles ((***)) dont tous les éléments sont distincts deux à deux (ce qui sera le cas des Ke, K*e pour certaines valeurs de e, mais pas toujours, comme nous le verrons plus bas).
Illustration numérique des Ce et C*e.
Dans le fichier PolignacNC on pourra obtenir, pour un e choisi, les couples de premiers consécutifs ou les couples de premiers non nécessairement consécutifs.
Commençons par un petit jeu et deux questions concernant les Ce.
Cherchons, suivant les valeurs de e, s'il existe ou pas des premiers qui apparaissent deux fois dans un certain Ce. Pour e=2, on observe que 5 intervient dans (3, 5) et dans (5,7), pour e=4 il y a 7 (dans (3, 7) et (7, 11)), pour e=6 il y en a plusieurs, 11, 13, 17, 23, ...; pour e=8 ou 10 on en trouve 1, puis pour 12 il y en a plusieurs, encore 1 pour e=14. On arrive alors à e=16 qui semble ne pas en avoir ....
Question 1: ces résultats persistent-ils pour TOUS les premiers d'un Ce donné ?
Question 2: pourquoi de telles propriétés et comment se structurent-elles pour tout e?
Le théorème 1 (plus bas) donnera les réponses et le théorème 2 en fera de même pour des questions analogues concernant les C*e.
Les ensembles de couples de premiers CONSECUTIFS C*e sont inclus dans leurs équivalents respectifs Ce; on a en effet C*2 = C2, C*4 = C4 - {(3, 7)}, soit C*eCe pour tout e, cette inclusion étant stricte pour e >= 4.
De même on aura J*2 = J2 (et K2 = K*2 = J2 + {5}), J*4 = J4 - {3} (et K4 = J4 +{7}, K*4 = J*4), soit J*eJe (K*eKe) ainsi que JeKe, J*eK*e pour tout e.
La conjecture de Polignac et celle des premiers jumeaux (il existe une infinité de nombres premiers p tels que p + 2 soit également premier) conduisent à conjecturer que tous les sous-ensembles J*e, et a fortiori les Je, sont infinis et ont la puissance du dénombrable, comme P et N.
Dans les ensembles Ce (ou Je), on vient de remarquer qu'il peut exister, pour certaines valeurs de e, des premiers qui soient deux fois jumeaux ou deux fois cousins ou ....Par exemple, 5 est bi-jumeau (avec 3 et 7), 7 est bi-cousin (avec 3 et 11) et pour e=6 on obtient de nombreux bi-sexy, 11 (avec 5 et 17), 13 (avec 7 et 19), 17(avec 13 et 23), 23 (avec 17 et 29), ..., 11 est bi-octo, 13 est bi-deca ...et pas de bi-16.
Dans les ensembles C*e (ou J*e), on aura encore le bi-jumeau 5, pas de bi-cousin (3 et 7 non consécutifs), plusieurs bi-sexy (53, 157, 173, 257, ...) et pas de bi-octo ...ni de bi-16.
Existe-t-il des bi-jumeaux, bi-cousins, bi-sexy, bi-octo, ...bi-e dans les deux cas?
Pour un e donné (e=2k, k>0), combien peut-il y avoir de premiers j qui soient bi-e et définissent ainsi un bi-triplet (j-e, j, j+e) ?
Si l'on note Δ-e (resp. Δ*-e) ce nombre, on aura par exemple un seul bi-jumeau associé au bi-triplet (3, 5, 7) et donc Δ-2=1 (et aussi Δ*-2=1); on aura de même un seul bi-cousin 7 associé au bi-triplet (3, 7, 11) et Δ-4=1 (mais Δ*-4=0), puis Δ-6>1 (et Δ*-6>1) et Δ-8=1 (mais Δ*-8=0)...
Qu'en est-il pour e quelconque?
On peut établir le théorème suivant, où l'on peut voir le rôle essentiel de l'arithmétique modulaire, mais aussi du nombre 6, le produit des deux plus petits nombres premiers 2 et 3 (on notera plus bas 3#=2*3).

Théorème 1.
Pour les ensembles Ce, constitués de couples de premiers (p, p+e) non nécessairement consécutifs , on aura:
1) Pour e (pair) non multiple de 6 (e=2(6) ou 4(6) uniquement):
si e+3 et 2e+3 sont des nombres premiers, alors il existe une seul bi-triplet (3, e+3, 2e+3) et Δ-e=1, le bi-e étant e+3;
si e+3 ou 2e+3 n'est pas premier, il y a 0 bi-triplet et donc Δ-e=0.
2) Pour e = 0(6) il existe plusieurs bi-triplets (p, p+e, p+2e) et Δ-e est strictement plus grand que 1; le plus petit élément p possible est 5.
Pour le cas e = 0(6), on peut conjecturer que Δ-e --> ∞.

Démonstration
1) Pour e=2(6) (et de même avec e=4(6)), 3+e et 3+2e sont nécessairement 5(6) ou 1(6), c'est-à-dire possiblement premiers,
alors que pour un premier p>3 (donc nécessairement 1(6) ou 5(6)) on aura toujours soit p+e soit p+2e qui sera 3(6) donc multiple de 3 et donc non premier. Le seul éventuel bi-triplet possible sera donc (3, e+3, 2e+3) avec e+3 comme seul bi-e, soit Δ-e=1, à condition que e+3 et 2e+3 soient premiers; dès qu'au moins l'un des deux ne l'est pas on aura Δ-e=0.
2) Pour le cas e=0(6), 3+e et 3+2e ne sont jamais premiers (car nécessairement multiples de 3), alors que pour tout premier p>3, p+e et p+2e sont toujours soit 1(6), soit 5(6) et donc peuvent être premiers; ce sera en particulier le cas pour 5 (plus petit p possible dans (p, p+e, p+2e), voir par exemple pour e=6, 12, 18...). Les éventuels bi-triplets possibles seront donc (p, p+e, p+2e) avec p>=5, les bi-e étant p+e.
Notons que e=16 étant le plus petit pair non divisible par 6 tel que e+3 ou 2e+3 ne soit pas premier, on peut affirmer que 16 est le plus petit e non 0(6) tel que Δ-16=0: pas de bi-16 pour C16. Les autres e avec cette même propriété sont 22, 26, 32, 44, 46, 52, ...
On établira facilement le résultat concernant les couples de premiers uniquement consécutifs.

Théorème 2.
Pour les ensembles C*e, constitués de couples de premiers (p, p+e) consécutifs , on aura:
1) Pour e = 0(6) il existe plusieurs bi-triplets (p, p+e, p+2e) et Δ*-e est strictement plus grand que 1 (dans ce cas le plus petit élément de bi-triplet possible est 5).
2) Pour e ≠ 0(6), à l'exception de e=2 qui possède 1 seul bi-jumeau 5 (couples 3-5 et 5-7), il n'y a aucun bi-e et donc Δ*-e=0 pour tout e>2.
Pour le cas e = 0(6), on peut conjecturer que Δ*-e --> ∞.
Si l'on appelle ces couples des super-sexy, on peut conjecturer qu'il y a une infinité de bi-super-sexy, et donc de bi-triplets (p, p+e, p+2e) dans les deux familles.

Démonstration
1) Pour le cas e=0(6) la démonstration est la même que dans le théorème 1: Δ*-e > 1.
2) Pour e non multiple de 6, si 3+e et 3+2e sont encore possiblement premiers, 3 et 3+e ne seront premiers consécutifs que pour e=2 (5 sera bi-jumeau); dès que e>2 ce ne sera plus le cas (e+3 ne sera pas bi-e) et pour p>3, comme plus haut on aura toujours soit p+e soit p+2e non premier (car multiple de 3). Ainsi on aura Δ*-2=1 et Δ*-e=0 pour tout e>2.
Par exemple pour e = 18, on a les bi-e 21911, 30449, 81439, ...et pour e= 24, les bi-e 16787, 40063, 96377, ...
Les bi-triplets mis en évidence par nos bi-e sont encore de suites artihmétiques de longueur 3 et de raison e; les deux théorèmes précedents déterminent explicitement les raisons possibles pour de telles suites (voir plus bas les cas > 3).

2-RARETE DES SOUS-ENSEMBLES DE PREMIERS Je (resp. J*e)

Tous ces sous-ensembles Je (resp. J*e), dont on a conjecturé plus haut le caractère infini sont inclus dans P avec des intersections possibles (par exemple 31 est jumeau et sexy dans les J*e, il est aussi jumeau, sexy, octo dans les Je; 23 et 37 appartiennent à J*4 et J*6; on a aussi 266681, 1068251, 1155611 qui appartiennent à J2, J4, J6, J8, J10, J20).
Pour mieux les étudier, on déterminera leur rareté, par la limite de la somme des inverses de tous leurs éléments pe (resp. p*e), qui sont donc des premiers distincts:
Re = Σ3N 1/pe (resp. R*e = Σ3N 1/p*e), pour N -> ∞.

Pour l'ensemble des entiers (série harmonique) et pour l'ensemble P de tous les premiers on sait que, pour N -> ∞, une telle série diverge, pour les Je (resp. J*e) on peut conjecturer qu'il y a convergence vers une constante caractéristique du e considéré.
Le cas e=2 a été traité par Viggo BRUN qui a établi, en 1919, le théorème de Brun ([2]) démontrant la convergence de la série des inverses de tous les premiers appartenant à C*2 vers la constante de Brun B2= 1.90216058310472 pour N=1016; notons que 5 intervient deux fois dans ce résultat, puisque C2 = {(3, 5), (5,7), ...} (alors que J2 = {3, 5, 7, ...}) et qu'il s'agit donc de la rareté de K2 = {3, 5, 5, 7, ...}.
Observons bien que ce résultat n'établit pas la conjecture des premiers jumeaux ...
En ce qui concerne les familles Ke, si d'après les théorèmes précédents, pour e ≠ 0(6), ils diffèrent au plus du Je correspondant par un seul élément e+3, dès que e = 0(6) il y aura un grand nombre de bi-e (et peut-être un nombre infini) et on ne pourra pas ((***)) les considérer comme des sous-ensembles de P, mais seulement comme des familles de premiers (avec éventuellement des doublons). Pour ce qui concerne les familles K*e, ce seront des sous-ensembles de P uniquement pour e ≠ 0(6). On peut cependant définir la rareté des Ke (resp. K*e) de la même manière.
Préférant de bons sous-ensembles de P, nous calculerons essentiellement les raretés des Je (qui correspondent à des séries de termes tous différents).

Quelques approximations (limitées à N=1011) des raretés Re et R*e pour quelques valeurs de e:

On a utilisé le logiciel de calcul PARI/GP sous DOS pour coder et obtenir les résultats suivants; il s'agit de calculs directs, sans aucune technique d'accélération de la convergence (comme celle utilisant le théorème de Brun pour obtenir la constante de Brun donnée plus haut), et concernant nos ensembles Je (resp. J*e) de premiers DISTINCTS et non Ke (resp. K*e).
R2 = 1.59790431095512 dans [3, 1011]
    R*2 = R2
R4 = 1.42612194249570 dans [3, 1011]
   R*4 = 1.09278860916237 dans [3, 1011]
R6 = 1.74286774426663 dans [3, 1011]
   R*6 = 0.83369899889526 dans [3, 1011]
R8 = 1.45160435123268 dans [3, 1011]
   R*8 = 0.24631561369615 dans [3, 1011]
R18 = 1.52889757735194 dans [3, 1011]
R30 = 1.69100908482706 dans [3, 1011]
   R*30 = 0.06644430369191 dans [3, 1011]
R36 = 1.60595296763088 dans [3, 1011]
R80 = 1.15292581121374 dans [3, 1011]
R210 = 1.50319143288112 dans [3, 1011]
R246 = 1.26033273531322 dans [3, 1011]
R1000 = 0.65801712398707dans [3, 1011]
R2020 = 0.68301704668138 dans [3, 1011]
   R*2020 = 10-38 dans [3, 1011]
R2022 = 1.14226324200272 dans [3, 1011]
R2310 = 1.15743893947818 dans [3, 1011]
R10000 = 0.60161008679115 dans [3, 1011]
R10000000 = 0.61732626495486 dans [3, 1011]
R1000000000 = 0.32216256254620 dans [3, 1011]

On observe que les raretés Re sont toujours inférieures à 2 et les raretés R*e (e > 4) toujours inférieures à 1. Par ailleurs après les jumeaux ce sont les sexy qui sont moins rares que les autres; ce n'est qu'à partir de e=10000 que Re devient inférieur à 1; peut-on conjecturer que Re (resp. R*e) -> 0 pour e->∞...?
Le cas e=2 mis à part, tous les e=0(6) semblent un peu moins rares que les autres (comparer les cas 6 et 8, ou 2020 et 2022 ...); on retouve encore le rôle important joué par le nombre 6 (et le modulo 6) ...


Analyse des paires de premiers dans N/6N pour les deux familles J*e et Je
L'analyse des nombres premiers de nos sous-ensembles est instructive dans N/6N.
On sait que tous les nombres premiers (> 3) sont nécessairement soit 1(6), soit 5(6), puisque les 3(6) sont des multiples de 3.
En outre, les séquences des impairs consécutifs sont périodiques du type 5(6)-1(6)-3(6)-5(6)-1(6)-3(6) ..., on en déduit donc que, si on exclue toutes les paires avec 3 (3-5, 3-7, 3-11, ...), tous les e=2(6) (comme les jumeaux, les octo, ...) sont nécessairement (couple ordonné croissant) et uniquement du type 5(6)-1(6), tous les e=4(6) (comme les cousins, les deca,...) sont nécessairement et uniquement du type 1(6)-5(6), seuls les e=0(6) (plus nombreux ...) sont soit 5(6)-5(6), soit 1(6)-1(6).

Les bi-sexy et bi-super-sexy
On peut envisager de déterminer la rareté des bi-sexy et des bi-super-sexy dans nos deux familles
Cas de J6:
Rbi6 = 0.48989819638095
en nombre N6 = 5.427.928 dans [3, 1010]
Cas de J*6:
Rbi*6 = 0.08432834861339
en nombre N6* = 4.383.099 dans [3, 1010]
Ces raretés sont strictement inférieures à 1 ...

Remarque sur les raretés RKe des Ke (resp. RK*e des K*e)
D'après les deux théorèmes précédents on a pour les raretés:
pour e ≠ 0(6), RKe = Re + 1/e+3, et RK*e = R*e (sauf RK*2 = RK2 = R2 + 1/5 )
pour e = 0(6), RKe > Re, et RK*e > R*e
Quelques valeurs des RKe
RK2 = R2 + 1/5 = 1.79790431095512 pour N = 1011
RK4 = R4 + 1/7 = 1.56897908535284 pour N = 1011
RK6 = 2.23370147833011 pour N = 1011
RK210 = 1.78613049586808 pour N = 1011


3- CONSTELLATIONS ARITHMETIQUES DE PREMIERS ET PRIMORIELLES

Nous allons maintenant nous intéresser à des constellations de nombres premiers de type k-uplets, k > 3, à écart constant e, c'est-à-dire à des suites arithmétiques de k premiers (non nécessairement consécutifs). Le théorème de Green-Tao ([4]) assure qu'il existe de telles suites pour tout k, ce résultat étant d'ailleurs un cas particulier de la conjecture d'Erdös ([3]) sur les progressions arithmétiques. Nous dirons constellation ou k-uplet pour constellation arithmétique de longueur k et de raison e.
Si l'existence de ces constellations est assurée pour tout k, il reste à déterminer expicitement les raisons e possibles pour un k donné.
Les théorèmes 1 et 2 de la partie 1 (qui concernait k=2 et k=3) ont effectué cette détermination pour les triplets (que nous appelions bi-triplets) et ont souligné le rôle essentiel des raisons e = 0(6).
Le cas k=4 est facile: pour e=2(6), p=3 ne convient pas (3-5-7-9) et pour tout p>3 on aura la séquence 5(6)-1(6)-3(6)-5(6) et donc pas de solution; pour e=4(6), p=3 ne convient pas (3-7-11-15) et pour tout p>3 on aura la séquence 1(6)-5(6)-3(6)-1(6) d'où pas de solution; seul e=6 (et multiples) peut donner des quadruplets débutant par 5, 11, 41, 61, 251, ...
Envisageons maintenant le cas des quintuplets k = 5.
Pour un e donné, et un nombre premier p, on considère les suites arithmétiques de la forme (p, p+e, p+2e, p+3e, p+4e) qui peuvent encore être interprétées comme trois triplets imbriqués, dont l'élément médian p+2e appartient à ces trois triplets; on notera pm le premier et plus petit élément et p*e l'élément central. Si les 5 nombres sont premiers, on parlera de quintuplet de premiers.
Pour quelles valeurs de la raison e de telles suites existent-elles et combien peut-il y en avoir pour un e donné?
On choisira une valeur e et on cherchera si à partir d'un certain nombre premier p (ou à partir de certains premiers) on peut obtenir les 4 autres éléments pour constituer un quintuplet de premiers.
Manifestement pour e = 2 ou 4 il n'y a pas de solution (périodicité des impairs dans N/6N); pour e = 6, on trouve facilement la solution (5-11-17-23-29) telle que pm = 5, p*e = 17; le théorème 3 suivant nous montrera, en particulier, que cette solution est unique.
Dans la suite, nous noterons la primorielle du nombre premier p par p# = 2*3*...*p (remarquons que 3# = 6)

Théorème 3
Pour la suite arithmétique (p, p+e, p+2e, p+3e, p+4e) avec p premier:
1) Si e = 0(6) et e ≠ 0(5#), alors:
    si e+5, 2e+5, 3e+5, 4e+5 sont tous premiers il y a 1 seul quintuplet avec pm = 5 et p*e = 2e+5,
    si l'un de ces nombres n'est pas premier il y en a 0.
2) Si e = 0(5#), alors il y a plusieurs quintuplets; le plus petit écart est e = 5# (= 30).
3) Si e ≠ 0(6) il n'y a pas de quintuplet.
Dans tous les cas où on démontre qu'il y a plusieurs solutions, on peut conjecturer qu'il y en a une infinité.

Démonstration
1) Pour e = 0(6) et e ≠ 0(5#): tout premier étant 1(6) ou 5(6), les 5 nombres du quintuplet seront tous soit 1(6), soit 5(6) et se termineront donc par un chiffre impair (1, 3, 5, 7 ou 9), chacun différent des 4 autres, et il y en aura toujours un avec un 5 comme unité. Si c'est le premier on a l'unique solution avec pm = 5 et sinon il y a un des nombres suivants qui est non premier et donc 0 quintuplet solution. Ainsi pour e = 6, 12, 42, 48 on a un quintuplet (débutant par 5) et 0 pour e = 18, 24, 36 ...
2) Pour e = 0(5#): comme toutes primorielles plus grandes que 3#, 5# est multiple de 10 et se terminent donc par 0, il en résulte que les 5 nombres de la suite se termineront par la même unité que celle de pm. Ce pm ne peut être ni 3, ni 5 (le suivant serait non premier), mais tout autre premier (à partir de 7, 11, 13, ...) peut produire un quintuplet ce qui permettra un grand nombre de solutions, par exemple 7 convient pour 30, 11 pour 30 ou 60, 13 pour 90 ou 210, ...et il y aura nécessairement plusieurs quintuplets, 5# (= 30) étant le plus petit e produisant cette situation. Chacun des ces quintuplets aura tous ces éléments avec le même chiffre des unités.
Ainsi, avec e = 30, ou aura (11, 41, 71, 101, 131) ou (37,67, 97, 127, 157) ou ...(137, 167, 197, 227, 257) ...
3) Pour e non 0(6), donc 2(6) ou 4(6): un premier étant 1(6) ou 5(6), on peut facilement montrer (comme dans les théorèmes 1 et 2) qu'il y aura toujours un 3(6) (qui ne peut être le nombre 3) parmi les 5 éléments, et donc pas de quintuplet dans ce cas.
Ainsi pour e = 2730 (= 13*7#) il y a plusieurs solutions, alors que pour e = 2732 il y en a 0.
Pour e = 30 (= 5#), les solutions sont telles que pm = 7, 11, 37, 107, 137, ...
Pour e = 210 (= 7#), les solutions sont telles que pm = 13, 23, 47, 127, 157, ...
Pour e = 30030 (= 13#), les solutions sont telles que pm = 73, 157, 619, 659, 751, ...
Pour e = 510510 (=17#), les solutions sont telles que pm = 263, 283, 313, 727, 1013, ...
Cas général k quelconque > 3.
On peut remarquer (comme démontré dans le théorème 1 pour k = 3) que pour tout k > 2, dès que e est soit 2(6) soit 4(6), pour tout premier p > 3, on a toujours soit p+e soit p+2e qui est 3(6) et donc non premier. Seul p = 3 peut convenir pour k = 3 et e = 2 ou 4.
Donc pour toute suite k > 2 et tout e non 0(6) et e > 4, il y a 0 k-uplet solution.
Par ailleurs dès que e est 0(5#) (cas des primorielles supérieures à 3#), on a montré plus haut que s'il y a des k-uplets solutions ils sont tels (e étant multiple de 10) que tous leurs éléments aient le même chiffre des unités que pm; ainsi pour tous les k-uplets solutions avec une raison qui est au moins 0(5#) (et éventuellement 0(p#), p > 5), nous aurons cette même propriété, triviale certes mais à signaler.
On aura par exemple, pour k = 3 et e = 13# (=30030) des triplets comme (73, 30103, 60133) ou (157, 30187, 60217), ...et pour k = 8 et e = 11# (=2310) des octuplets comme (1019, 3329, 5639, ..., 17189) ou (3823, 6133, 8443, ..., 19993) ...
Pour des k grands (et des e au moins 0(5#)) on pourra ainsi exhiber des longues suites de premiers se terminant tous par la même unité.
Pour k = 4 on a vu que (comme dans le cas k = 3 du théorème 1) pour e = 0(3#) on a plusieurs quadruplets, le plus petit pm possible étant 5, mais 0 pour toute autre raison e.
Le cas k = 6 est identique au cas du théorème 3, sauf que pour e = 0(3#) non 0(5#) il y aura 0 sextuplet (le premier 5 produisant un p+5e = 35).
De façon générale, pour un k-uplet donné, il existe toujours un plus petit premier pk tel que :
pour e = 0(pk#) il y a plusieurs k-uplets,
pour tout autre e on aura au plus 1 k-uplet (et le plus souvent 0).
On peut énoncer, en notant p1(=2), p2(=3), p3(=5) , ...,pr, ... les nombres premiers consécutifs:

Théorème 4
Pour toute suite arithmétique (p, p+e, p+2e, p+3e, ..., p+(k-1)e) avec p premier et k > 3:
Il existe un plus petit premier pk tel que:
1) Si e = 0(pk-1#) et e ≠ 0(pk#), il peut y avoir au plus un k-uplet de raison e;
2) Si e = 0(pk#), alors il y a plusieurs k-uplets de raison e (la plus petite raison étant pk#);
3) Si e est autre (et en particulier non 0(6)) il n'y a pas de k-uplet de raison e.

Pour e = 0(pk#), on peut conjecturer qu'il y a en réalité une infinité de k-uplets.
Pour illustrer le 1), dans le cas k = 10, pour e = 0(7#) il y a un 10-uplet débutant par 199, pour e = 0(11#) il y a plusieurs 10-uplets, et aucun pour toute autre valeur de la raison e.
Ce résultat est en quelque sorte un théorème constructif du théorème d'existence ([4]) de Green-Tao, en ce sens qu'il précise la raison (ou les raisons) e des suites de longueur k. Les raisons e qui produisent un grand nombre de solutions sont les primorielles et leurs multiples.
Pour triplets et quadruplets on aura pk = 3, pour k = 5 ou 6, pk = 5, pour k = 7 ou 8, pk = 7, pour k = 9 ou 10, pk = 11 ...
Pour k = 3, e = 2 (resp. 4) donne le seul triplet (3, 5, 7) (resp. (3, 7, 11)), e = 0(6) conduisant à plusieurs triplets débutant par 5, 7, 11, 17, 31, ...pour le plus petit e = 3#.
Pour k = 4, avec e = 2(6) ou 4(6), il n'existe pas de quadruplet solution, e = 0(6) conduisant à plusieurs quadruplets débutant par 5, 11, 41, 61, 251,...pour le plus petit e = 3#.
Pour k = 5, on vient de voir que e = 5# (= 30) est le petit écart produisant plusieurs quintuplets; il en est de même pour k = 6, ...
Pour k = 12, c'est e = 13# (=30030) qui sera la plus petite raison produisant plusieurs solutions, le plus petit 12-uplet commençant avec pm = 23143 étant (23143, 53173, ..., 323443, 353473) (le pm+12e donnerait 172*1327).
Pour k croissant, c'est donc un p#, p > 3 qui jouera le rôle de 6 = 3# ... faut-il se placer dans N/p#N plutôt que dans N/6N pour faire une meilleure ou plus fine analyse?
Pour les bi-triplets (théorèmes 1 et 2), on avait plusieurs solutions bi-e pour e = 0(3#) et au maximum une dans les autres cas; pour les k-uplets (k > 2), il existe un pk (croissant avec k) tel que ce soit les e = 0(pk#), qui conduisent à plusieurs solutions, les autres e donnant au plus 1 k-uplet solution (et le plus souvent 0). Naturellement les k-uplets solutions sont constitués de premiers non nécessairement consécutifs.
Nous retiendrons que pour k > 3, toutes les raisons de toutes les suites arithmétiques sont nécessairement et uniquement des multiples de 6. Par ailleurs, pour tout k > 2, dès que e est au moins 0(5#) (et éventuellement 0(p#), p > 5), les suites solutions seront obligatoirement constituées de premiers avec le même chiffre des unités.
Si les primorielles jouent un grand rôle dans ces résultats, on peut dire que 6 (et le modulo 6) sont encore plus essentiels.

CONCLUSION

Dans l'ensemble infini P des nombres premiers, on a une double infinité de sous-ensembles Je et J*e, eux-mêmes (conjecturés) infinis, avec intersections possibles, dont les constantes de rareté respectives sont strictement inférieures à 2.
Tous les ensembles avec e ≠ 0(6) ont au plus 1 bi-e: 1 pour certains Je (et J*2) et 0 pour les J*e, e>2.
Tous les ensembles avec e = 0(6) (premiers sexy et super-sexy) ont la particularité de posséder de nombreux (en nombre conjecturé infini) premiers bi-e qui appartiennent donc à deux couples distincts et définissent des bi-triplets (p, p+e, p+2e); ils ont en outre (le cas e = 2 mis à part) une rareté supérieure aux ensembles avec e ≠ 0(6).
On observe par exemple que les raretés des Je pour e = 6, 18, 30, 36, 210 sont toutes supérieures à 1.5 pour N = 1011 (bien qu'inférieures, bien sûr, aux RKe correpondants); avec e = 2022, 2310, les raretés deviennent inférieures à 1.5....
Pour tout k-uplet à écart constant e, k > 2, il existe toujours un plus petit e conduisant à un grand nombre de solutions, e = pk#; cette propriété est encore assurée par les e = 0(pk#); en dehors de ces valeurs de e, il y a au plus un seul k-uplet solution (et le plus souvent 0). Ce e est croissant avec k: 3# pour k = 3 ou 4, 5# pour k = 5 ou 6, ..., 11# pour k = 9 ou 10 ...
Nous avons ainsi établi ici des propriétés constructives simples qui déterminent explicitement les possibles raisons des suites arithmétiques de premiers de longueur k > 2, dont l'existence est assurée par le théorème de Green-Tao ([5]): pour un k donné, les seules raisons qui peuvent produire plusieurs (un grand nombre que l'on peut conjecturer infini) k-uplets, sont nécessairement les primorielles supérieures ou égales à 3#(=6), ou leurs multiples; par ailleurs pour k > 3 toutes les raisons sont exclusivement des multiples de 6. Enfin quand la raison est au moins 0(5#), et qu'il existe plusieurs k-uplets, ils sont uniquement constitués de premiers avec le même chiffre des unités.


(*)Professeur honoraire Université Paul Sabatier, Toulouse, France, Webmaster du site SAYRAC.
Une version de cet article a été publiée dans Archive ouverte HAL le 25/02/2022 ( hal-03589472 ).
(**)En notant n(6) pour n modulo 6, il vient: 1(6)+2=3(6), 3(6)+2=5(6) et 5(6)+2=1(6), ce qui fait que pour p>5 les couples de cousins (p, p+4) sont toujours consécutifs.
(***) Contrairement aux Je (resp. J*e), les Ke (resp. K*e) ne sont pas des sous-ensembles de P dès qu'il existe un bi-e, ce qui a justifié notre choix.
On appellera K une famille d'éléments de N; nous préférons parler de famille quand il peut y avoir des éléments dupliqués qui sont à comptabiliser, comme ici.
REFERENCES
[1] de Polignac A., Recherches nouvelles sur les nombres premiers, CRAc.Sc.Paris, t.29, p.397-401, 1849.
[2] Vigo Brun, La série 1/5+1/7+1/11+1/13+1/17+1/19+1/29+1/31+1/41+1/43+1/59+1/ 61+..., où les dénominateurs sont nombres premiers jumeaux est convergente ou finie, Bulletin des Sciences Mathématiques Vol. 43 : p.100-104, et p.124-128, 1919.
[3] G.H.Hardy and J.E. Littlewood, Some problems of Partitio Numerorum III: On the expression of a number as a sum of primes, Acta Mathematica 44, p.1-70, 1922
[4] Paul Erdős et Paul Turán, On some sequences of integers, Journal of the London Mathematical Society, vol. 11, no 4,‎ p. 261–264, 1936.
[5] Ben J. Green et Terence Tao, The primes contain arbitrarily long arithmetic progressions, Annals of Mathematics, vol. 167,‎ p. 481-547, 2008 (arXiv math.NT/0404188).
[6] Yitang Zhang. Bounded gaps between primes, Annals of Mathematics, 179 :1121–1174, 2014.
[7] James Maynard. Small gaps between primes, Annals of Mathematics, 181 :383–413, 2015.


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